Madame Edwarda, Le mort, Histoire de l'oeil by Georges Bataille

Madame Edwarda, Le mort, Histoire de l'oeil by Georges Bataille

Auteur:Georges Bataille [Bataille, Georges]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: 10/18
Publié: 2011-03-24T08:28:14+00:00


UNE TACHE DE SOLEIL

Les autres femmes ou les autres hommes n’avaient plus d’intérêt pour nous. Nous ne songions plus qu’à Marcelle dont nous imaginions puérilement la pendaison volontaire, l’enterrement clandestin, les apparitions funèbres. Un soir, bien renseignés, nous partîmes à bicyclette pour la maison de santé où notre amie était enfermée. Nous parcourûmes en moins d’une heure vingt kilomètres qui nous séparaient d’un château entouré d’un parc, isolé sur une falaise dominant la mer. Nous savions que Marcelle occupait la chambre 8, mais il aurait fallu pour la trouver arriver par l’intérieur. Nous ne pouvions espérer qu’entrer dans cette chambre par la fenêtre après en avoir scié les barreaux. Nous n’imaginions pas de moyen de la distinguer quand notre attention fut attirée par une étrange apparition. Nous avions sauté le mur et nous trouvions dans ce parc où le vent violent agitait les arbres quand nous vîmes s’ouvrir une fenêtre du premier, et une ombre attacher solidement un drap à l’un des barreaux. Le drap claqua aussitôt dans le vent, la fenêtre fut refermée avant que nous n’eussions reconnu l’ombre.

Il est difficile d’imaginer le fracas de cet immense drap blanc pris dans la bourrasque : il dominait de beaucoup celui de la mer et du vent. Pour la première fois, je voyais Simone angoissée d’autre chose que de sa propre impudeur ; elle se serra contre moi, le cœur battant, et regarda les yeux fixes ce fantôme faire rage dans la nuit, comme si la démence elle-même venait de hisser son pavillon sur ce lugubre château.

Nous restions immobiles, Simone blottie dans mes bras, moi-même à demi hagard, quand soudain le vent sembla déchirer les nuages et la lune éclaira avec une précision révélatrice un détail si étrange et si déchirant qu’un sanglot s’étrangla dans la gorge de Simone : le drap qui s’étalait dans le vent avec un bruit éclatant était souillé au centre d’une large tache mouillée qu’éclairait par transparence la lumière de la lune...

En peu d’instants, les nuages masquèrent à nouveau le disque lunaire : tout rentra dans l’ombre.

Je demeurai debout, suffoqué, les cheveux dans le vent, pleurant moi-même comme un malheureux, tandis que Simone, effondrée dans l’herbe, se laissait pour la première fois secouer par de grands sanglots d’enfant.



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